L’Ontario ne devrait pas rouvrir ses écoles, selon plusieurs experts
Écrit par Radio Centre-Ville sur 14 mai 2020
Alors que le premier ministre Doug Ford doit donner plus de détails aujourd’hui sur son plan de déconfinement pour les commerces et les entreprises, la possibilité de rouvrir aussi les écoles est sur toutes les lèvres en Ontario.
Le Québec a rouvert ses écoles primaires à l’extérieur de la région de Montréal le 11 mai, même si la province est l’épicentre de la pandémie de COVID-19 au pays.
En Ontario, toutes les écoles sont fermées au moins jusqu’au 31 mai. Le premier ministre Ford a promis d’annoncer d’ici le début de la semaine prochaine ce qu’il entendait faire pour juin.
Les élèves de la maternelle à la 5e année en Colombie-Britannique doivent retourner en classe d’ici juin, mais seulement à temps partiel. Toutes les autres provinces ont fermé leurs écoles indéfiniment ou annulé le reste de l’année scolaire.
Pour la professeure en pédiatrie à l’Université de Toronto Anna Banerji, l’Ontario ne devrait pas courir le risque de rouvrir ses écoles.
Pourquoi retourner à l’école pour quelques semaines? Ça n’a pas de sens.
Immunité?
La seule raison de renvoyer les enfants à l’école, dit la Dre Banerji, serait de leur permettre d’obtenir possiblement une immunité contre le coronavirus en les laissant s’infecter entre eux et développer la maladie. Depuis le début de la pandémie, les enfants ont en général des symptômes modérés ou inexistants.
Toutefois, les enfants infectés pourraient aussi transmettre la COVID-19 à leurs parents et à leurs grands-parents, posant un risque pour la santé de ces adultes, souligne-t-elle.
Le virologue Hugues Loemba ne pense pas que l’Ontario devrait rouvrir ses écoles seulement pour quelques semaines.
Photo : Radio-Canada
Les enfants ne devraient pas servir de « cobayes », selon le virologue Hugues Loemba.
Le professeur à l’Université d’Ottawa et clinicien-chercheur à l’Hôpital Montfort ajoute que bien des questions demeurent au sujet de la durée de l’immunité chez un individu qui a été infecté. C’est sans parler des enseignants, dit-il, qui pourraient eux aussi être infectés.
Pour des raisons économiques notamment, il reconnaît toutefois qu’on ne peut pas rester confinés « ad vitam aeternam »; il est « partagé » quant à la réouverture des écoles.
Je crois que tout le monde serait soulagé si on laisse ça pour septembre.
S’il y a avait un retour en classe en juin, il devrait y avoir, selon lui, des mesures de distanciation physique comme au Québec et l’Ontario devrait d’abord bonifier son système de dépistage et de suivi des cas.
Il ajoute que la fréquentation des écoles devrait être optionnelle comme au Québec et qu’on ne devrait pas renvoyer tous les élèves de l’élémentaire et du secondaire en même temps à l’école.
Mince marge de manoeuvre
La professeure de mathématiques à l’Université Simon Fraser Caroline Colijn, qui est spécialisée en épidémiologie, souligne que la progression des nouveaux cas est à la baisse actuellement en Ontario.
La réouverture des écoles pourrait toutefois faire basculer la situation, selon ses modélisations.
La marge de manoeuvre est mince en Ontario en matière de déconfinement.
La professeure Colijn note qu’il est difficile de prédire spécifiquement quel impact la réouverture des écoles pourrait avoir, étant donné que la reprise des classes s’accompagnerait aussi vraisemblablement d’un retour au travail pour beaucoup de parents, une autre source d’infection potentielle.
Elle ajoute que comme dans les autres provinces, le nombre de cas en Ontario est probablement 3 à 10 fois plus élevé que le portrait dépeint par les chiffres officiels.
Cela dit, la professeure Colijn reconnaît elle aussi que les gouvernements doivent tenir compte également de facteurs économiques et sociaux dans leurs décisions sur le déconfinement.
Le premier ministre Ford doit annoncer jeudi des assouplissements aux restrictions actuelles dans les secteurs de la construction et du commerce de détail.
Une ouverture par régions comme au Québec?
Le gouvernement de Doug Ford a rejeté jusqu’à maintenant une approche régionale comme celle du Québec pour le déconfinement.
Le Québec a reporté au moins jusqu’au 25 mai la réouverture des commerces et des écoles dans la région de Montréal, où sont concentrés les cas de COVID-19 dans la province.
En Ontario, plus de 60 % des infections sont dans le Grand Toronto.
Un déconfinement par régions pourrait « avoir du sens », selon la professeure Colijn, qui note toutefois que les résidents peuvent se déplacer d’une région à une autre.
Selon le virologue Loemba, si l’Ontario prend le « risque calculé » de rouvrir ses écoles, la région de Toronto devrait être la dernière à déconfiner.
Pour sa part, le maire de Toronto, John Tory, a affirmé qu’il serait « plus prudent » de garder les écoles fermées jusqu’en septembre. Il n’a pas voulu se prononcer sur la possibilité d’une reprise des classes en juin uniquement à l’extérieur de la région torontoise, expliquant que le gouvernement Ford s’opposait à un déconfinement par régions.
Rouvrir en août?
Selon la professeure en éducation Prachi Srivastava de l’Université Western à London, le Québec et son approche régionale n’est « pas un modèle à suivre ».
L’Ontarienne originaire de Montréal affirme que l’Ontario devrait disposer de données en temps réel sur chacune des différentes régions de la province pour procéder à un déconfinement par secteur. Or, le gouvernement Ford est toujours loin de sa cible de 20 000 tests de dépistage par jour, souligne-t-elle.
Pour elle, la province devrait dire non à une réouverture des écoles en juin et former plutôt un groupe de travail pour se pencher sur la prochaine année scolaire.
Devrait-on plutôt rouvrir les écoles en août? Devrait-on écourter les pauses habituelles du temps des Fêtes et de la semaine de relâche?
La professeure en éducation Prachi Srivastava pense que l’Ontario devrait laisser les écoles fermées et envisager plutôt de les rouvrir en août.
Photo : Radio-Canada
Le coronavirus risque toujours d’être présent à la rentrée, ajoute la professeure Srivastava, et la province devrait commencer immédiatement à élaborer des programmes d’études « épurés », soulignant que d’autres fermetures d’écoles temporaires pourraient avoir lieu lors de la prochaine année scolaire, perturbant à nouveau l’apprentissage.
Pour elle, le recours actuel aux cours en ligne n’est pas une panacée.
Le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, a affirmé mercredi que les programmes seraient modifiés durant l’été, pour tenir compte des journées d’école perdues cette année.
Ni le ministère de l’Éducation ni celui de la Santé n’ont voulu préciser à Radio-Canada quels critères seraient utilisés pour décider de rouvrir ou non les écoles le mois prochain. Le gouvernement Ford n’a pas voulu préciser non plus à quelle date aurait lieu l’annonce sur le sort du reste de l’année scolaire.
Les enseignants veulent avoir leur mot à dire
La professeure Srivastava raconte que nombre d’enseignants à qui elle a parlé s’inquiètent pour leur santé et se demandent s’ils auront des masques et de l’équipement protecteurs, si les écoles sont rouvertes en juin.
Le président de la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), Harvey Bischof, espère que le gouvernement consultera ses membres avant toute décision sur la reprise des classes.
Nous espérons que tout plan de réouverture des écoles, y compris les protocoles appropriés en classe, soit guidé par l’expertise des autorités de la santé publique.
Pour sa part, Rémi Sabourin, président de l’Association des enseignants franco-ontariens (AEFO), dit que différents scénarios sont à l’étude actuellement.
La présidente de l’Association des enseignants catholiques anglophones (OECTA), Liz Stuart, exige elle aussi que la santé et la sécurité des enseignants et des élèves soient protégées, advenant un retour en classe, et qu’il y ait des ressources en santé mentale pour gérer le stress.
Nombre de conseils scolaires ont raconté à Radio-Canada qu’ils se préparaient à différents scénarios, d’une réouverture uniquement des écoles élémentaires à la reprise des classes à l’élémentaire et au secondaire, et ce, à temps plein ou à temps partiel. La province n’a fourni aucun détail à ce sujet pour l’instant.
Des parents partagés
Les parents semblent partagés en Ontario quant à un possible retour en classe de leur enfant.
Nombre de parents sont craintifs. De son côté, la mère de famille Marie-Catherine Viel affirme que l’apprentissage en ligne offert actuellement ne « marche pas » pour bien des élèves, petits et grands.
Quelques semaines d’école pourraient faire une énorme différence dans la vie de plusieurs ados
, dit-elle, tout en ajoutant qu’il faut tenir compte avant tout de la « sécurité et la santé de notre communauté ».