Femmes autochtones en politique : le plafond de verre?
Écrit par Radio Centre-Ville sur 6 mars 2020
Les femmes autochtones sont partout : elles occupent des postes clés dans les organismes communautaires ou institutionnels, elles sont à l’avant-plan de mouvements militants ou de résistance. Pourtant, le pouvoir politique, là où les priorités sont fixées, là où les décisions se prennent, leur semble plus difficilement accessible.
Sur les 43 chefs qui siègent à l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), seules 7 sont des femmes. À titre de conseillères, elles sont néanmoins plus nombreuses, soit 80 sur plus de 250.
Au cours des dernières années, plusieurs signes encourageants sont toutefois apparus : des provinces comme la Saskatchewan et le Manitoba ont récemment vu des nombres records de femmes chefs, respectivement 16 sur 74 et 10 sur 63.
Au Québec, l’APNQL a élargi au début des années 1990 son « cercle des chefs » en y incluant notamment les voix de jeunes et des femmes. L’organisme Femmes autochtones du Québec et le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) ont désormais un droit de parole… mais non de vote.
En règle générale cependant, « il y a peu de place à la parole des femmes », constate Édith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or et représentante du RCAAQ à la table de l’APNQL pendant 20 ans.
Par conséquent, les enjeux sociaux qui touchent souvent les femmes, comme les violences sexuelles, sont moins souvent abordés que les questions qui portent sur le territoire ou l’exploitation des ressources naturelles. « Au bout de ligne, les femmes n’osent plus aborder ces thèmes, au risque de se faire dire “vous êtes pas à la bonne place” », souligne l’Anichinabée.
Loi sur les Indiens
Comment alors expliquer ce « boy’s club » de la politique autochtone? En grande partie par la Loi sur les Indiens et les effets de la colonisation, estime Widia Larivière, co-instigatrice de la branche québécoise d’Idle No More, mouvement pancanadien de défense des droits autochtones qui a vu le jour en 2012.
Des manifestations du mouvement Idle No More au centre-ville de Montréal, en janvier 2013
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Le mouvement – comme plusieurs grandes mouvances de contestation autochtones telles que les manifestations de Standing Rock contre un oléoduc dans le Dakota du Nord, ou encore la résistance mohawk pendant la crise d’Oka – est constitué d’un noyau de femmes.
« La colonisation s’est basée non seulement sur la dépossession territoriale et culturelle, mais aussi sur l’aliénation des femmes autochtones à différents niveaux », affirme la militante anichinabée, qui rappelle qu’avant 1951, les femmes autochtones ne pouvaient pas voter ni se présenter comme chef dans leur communauté.
Adoptée en 1876 par le Parlement canadien, la Loi sur les Indiens a également écrasé d’autres modèles de gouvernance traditionnels où les femmes avaient des rôles prépondérants, souligne pour sa part l’ethnologue wendate Isabelle Picard.
« Si on prend le modèle iroquoien, c’était les mères de clan qui choisissaient les chefs. Et si les chefs ne faisaient pas l’affaire, on n’attendait pas quatre ans, on passait au suivant », souligne-t-elle. Certains de ces systèmes parallèles existent toujours aujourd’hui, comme les « maisons longues » des Mohawks.
La sagesse des aînées ou encore la patience étaient des vertus valorisées au sein du groupe, ajoute la chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal. Des codes jugés « primitifs » par les colons européens du 18e siècle, dont les sociétés étaient encore loin d’être des exemples de parité.
Intimidation et violence latérale
L’ancienne chef de la Première Nation Malécite de Viger (Wolastoqiyik Wahsipekuk) Anne Archambault estime en outre que les femmes au pouvoir sont plus souvent que les hommes victimes d’intimidation et de harcèlement, ce qui aurait pour effet d’en dissuader plus d’une de faire le grand saut.
« On vit dans l’inquiétude, dans la difficulté, car il y a des clans. Et si le chef d’un clan différent est élu, là ça part. Et si le chef est une femme, tu peux beurrer le double », affirme celle qui a été chef de 1990 à 2016, avec une interruption de quatre ans.
Colis piégés, menaces de mort quotidiennes, intimidation émanant de son propre conseil… Pendant ses quatre mandats, Anne Archambault affirme avoir tenu le coup en raison de sa « couenne dure ». « Ils n’ont pas réussi à m’écarter du pouvoir. Mais j’ai eu énormément d’obstacles », résume celle qui travaille aujourd’hui au bureau de tourisme de Rivière-du-Loup.
Amélie Larouche (au centre) en compagnie de la grande chef de la Première Nation Malécite de Viger, Anne Archambault. (Archives 2014)
Photo : Radio-Canada
Dans les dernières années, l’ex-chef de Gespeg Manon Jeannotte et Adrienne Anichinapeo, ex-chef de Kitcisakik, ont publiquement décrit des expériences similaires d’intimidation et de violences latérales. « Les hommes eux, sont respectés », avait dit Mme Anichinapeo aux audiences de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Un examen de conscience
Selon Édith Cloutier, un « examen de conscience » est aujourd’hui nécessaire. « On ne peut plus, avec la modernité, se justifier à travers la Loi sur les Indiens, les effets du colonialisme, pour ne pas partager ce pouvoir », dit-elle.
Elle verrait bien, un jour, une femme à la tête de l’APNQL, dirigée depuis 28 ans par l’Innu Ghislain Picard. « De voir une femme élue [par les 43 chefs] diriger la destinée des premiers peuples du Québec, il s’agirait là d’un vrai test », dit-elle.
D’après Isabelle Picard, il faut décoloniser les modèles de gouvernance autochtone ou encore trouver des modèles hybrides qui font davantage de place aux femmes, « qui prennent racine dans quelque chose de traditionnel ou de culturellement fondé ».
« Je pense que, d’ici 10 ans, c’est quelque chose qu’on verra davantage », conclut-elle.